
Hermann Hesse, une des figures majeurs de la littérature allemande du XXe siècle, est, de nos jours, plus connu pour son influence relative sur la culture hippie et pour être l’auteur de Steppenwolf1 (1927), nom repris par un célèbre groupe de musique, que pour son influence déterminante sur la pensée moderne. Non seulement son œuvre sombre peu à peu dans l’oubli du grand public, mais elle est également encore largement décriée par une grande partie des universitaires qui considère la langue hesséenne comme naïve et lui préfère celle de son ami Thomas Mann dont les thématiques, sans êtres similaires, sont approchantes. Pourtant, Hesse est l’un des rares auteurs de langue allemande à avoir vu son œuvre couronnée du Prix Nobel de littérature en 1946, pour son chef-d’œuvre, Das Glasperlenspiel2 (1943).
Issu d’un longue lignée de missionnaires évangélistes, Hesse abandonne une voie toute tracée et quitte très jeune le monastère de Maulbronn où il effectue ses études, cédant à l’appel de sa vocation d’écrivain. Son entrée en littérature est pourtant ralentie par une situation financière précaire qui ne se stabilise que lorsqu’il devient apprenti-libraire. Par un heureux destin, Samuel Fischer, grand nom de l’édition allemande qui a fondé sa maison depuis une quinzaine d’années, s’enthousiasme à la lecture d’Hermann Lauscher (1900) et prend dès lors l’écrivain sous son aile. Malgré des ventes mitigées, notamment lors de la seconde guerre mondiale durant laquelle Hesse, épargné par la censure nazie parce qu’il a toujours refusé de prendre position publiquement, pâtit pourtant de son opinion anti-fasciste et pacifiste dont il ne se cache pas dans le privé, l’écrivain se taille une réputation d’auteur difficile. En effet, il refuse de céder aux exigences de rentabilité et maintient farouchement son indépendance, allant jusqu’à obtenir, pour la première fois de l’histoire de l’édition allemande, des droits d’auteur excédants les 20% habituels.
L’écriture de Hesse témoigne largement de son intérêt pour l’Art dans son acception wagnérienne totalisante, la nature, la psychanalyse, l’orientalisme et les rapports qu’entretient l’être humain avec lui-même et avec la collectivité. Être inadapté, Hermann Hesse souffre d’une vie conjugale problématique et de problèmes de santé qui le mènent à effectuer de nombreuses cures à Baden ainsi qu’à entamer une psychanalyse avec un élève de Carl Gustav Jung puis avec Jung lui-même. Devenu citoyen suisse en 1924, l’écrivain partage sa vie entre sa demeure de Montagnola et plusieurs voyages en Inde et en Extrême-Asie.
Les personnages hesséens souffrent, à l’image de l’auteur dont ils sont tous, de près ou de loin, des avatars, de leur inadaptation au monde dans lequel ils gravitent. De Peter Camenzind (1904) à Roßhalde (1914), les protagonistes de Hesse sont unanimes à penser que l’art et la mise en œuvre de leur art sont les seuls moyens de justifier leur existence, que ce soit la poésie pour Peter Camenzind, la musique pour le compositeur Kuhn dans Gertrud (1910) ou la peinture pour Johannes Veraguth dans Roßhalde. Les personnages de la première période dite des « écrits sur l’art ne vivent que pour leur Art, quitte à délaisser leur bonheur personnel qu’ils estiment être suffisant lors de la réalisation d’œuvres dignes d’intérêt. Cependant, peu à peu, Hesse déplace sa pensée de telle sorte que l’ultime enjeu hesséen n’est plus un abandon délibéré de sa vie personnelle mais, au contraire la synthèse de l’individu et de la société que parviendra à réaliser Joseph Knecht, le héros de Das Glasperlenspiel.
Ainsi, Hesse, écrivain romantique profondément conscient des difficultés qui paralysent l’artiste moderne incapable de concilier sa singularité et sa vie dans le monde, est un auteur dont l’humanisme ne peut que résonner tout particulièrement aux oreilles du lecteur contemporain.