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François Rabelais


Le vin occupe une place majeure dans toute l’œuvre de Rabelais comme le souligne l’abondance des extraits évoquant cette extraordinaire boisson. On ne compte plus les multiples occurrences des mots « vin », « vigne », « boire » ou même de « Bacchus ».
La célébration du vin devient un véritable enjeu littéraire et, dès le prologue du Gargantua, Rabelais se présente comme un excellent buveur, « toujours buvant, toujours composant », inspiré par l’ivresse créatrice. De nombreuses expressions du récit renvoient au terroir natal et au vin de la Devinière dont il est producteur près de Chinon. Ainsi dans le Tiers Livre au chapitre 32, Panurge invite à boire du vin dans lequel « il n’y a que la belle cinamone triée et le beau sucre fin, avec le bon vin blanc du cru de la Devinière, en la plante du grand cormier au-dessus du noyer groslier ». La légende a repris ces divers éléments et on s’est plu à considérer Rabelais comme un bon vivant, un grand buveur ainsi que l’épitaphe de Ronsard l’immortalise « Du bon Rabelais, qui buvait // Toujours cependant qu’il vivait ».
Mais peut-on confondre l’auteur et son masque, Rabelais et Alcofribas Nasier ? Assurément non. Si l’auteur convoque régulièrement l’image d’un auteur gai, « toujours buvant », c’est que le vin est un symbole ambigu, ambivalent : lié à la fête et au banquet, il est synonyme de joie, de gaieté et de convivialité mais associé à la violence et au sacré, il peut être plus sérieux et source d’interrogations, comme le soulignent de nombreux épisodes. Mais qui était donc cet amateur d’« eau bénite de cave, sirop vignolat, purée septembrale » ?
François Rabelais (1494-1553) est né à la Devinière, non loin de Chinon. D’abord initié au rudiment de l’abbaye de Seuilly, puis novice au couvent de la Baumette, il y aurait été instruit selon les méthodes scolastiques. De 27 à 33 ans, devenu moine, il poursuit son activité studieuse, d’abord comme cordelier, ensuite comme bénédictin. À Fontenay-le-comte, chez les franciscains, il continue l’étude du grec et celle de l’Ecriture Sainte dans les textes originaux. Mais, en difficulté avec la Sorbonne, il passe chez les bénédictins à Maillezais. Il suit l’évêque dans ses déplacements et, de 1528 à 1530, il est tour à tour étudiant à Bordeaux, Toulouse, Orléans et Paris. À Montpellier, il étudie la médecine et bientôt devient chargé de cours. À Lyon et dans plusieurs villes de France, il exerce comme médecin de 1532 à 1551. À l’automne 1532, il publie le Pantagruel et lance en 1533 la Pantagrueline Prognostication. En 1534, il fait paraître le Gargantua et rédige ensuite le Tiers Livre publié en 1546. Sa réputation de médecin lui vaut la protection du cardinal Jean du Bellay qu’il accompagne à Rome à trois reprises. Il obtient, au cours de son second séjour à Rome, son absolution pour avoir quitté le froc bénédictin et reçoit l’autorisation d’entrer à l’abbaye de Saint-Maur qui sera ensuite sécularisée. Il peut donc continuer à exercer la médecine et à l’enseigner. Il achève la rédaction du Quart Livre est publié en 1552 mais aussitôt condamné par le Parlement. On perd la trace de l’écrivain à partir de cette date et sans doute faut-il placer son décès en 1553 ou 1554. Le Cinquième livre, dont l’attribution à Rabelais demeure incertaine, paraît en 1562, puis dans sa forme complète en 1564.
On voit donc que la soif de connaissance et de vie qui anime les héros de Rabelais n’est que le reflet ou la pâle expression de celle de l’auteur, toujours cherchant à multiplier les savoirs et les expériences. Cette soif symbolise à la fois l’ivresse créatrice du narrateur et la soif de connaissance qui mène Pantagruel et ses amis jusqu’à l’oracle de la Dive Bouteille. « La vénérable Pontife Bacbuc » les introduit alors dans le temple où se trouve la « belle fontaine onirique » et les invite à boire la liqueur qui en jaillit. Mais le goût de cette boisson est particulier, c’est le « goût du vin que l’on imagine ».
Le mot final de « Trinch », donné par la Dive Bouteille, renvoie à la dualité symbolique du « boire ». Devant le dépit et l’étonnement de la compagnie, Bacbuc en donne l’explication :
Trinch est un mot panoraculaire, et compris de toutes nations, et il signifie pour nous : Buvez. [...] Mais ici maintenons que ce n’est pas rire, mais boire, qui est le propre de l’homme ; je ne dis pas boire simplement et absolument, car aussi bien boivent les bêtes : je dis boire du vin bon et frais. Notez, amis, que de vin divin on devient, et qu’il n’y a argument aussi sûr, ni d’art de divination moins fallacieux. Vos Académiques l’affirment. […] Car il a le pouvoir de remplir l’âme de toute vérité, de tout savoir et de toute philosophie. Si vous avez remarqué ce qui est écrit en lettres ioniques sur la porte du temple, vous avez pu comprendre que dans le vin est cachée la vérité. La Dive Bouteille vous y envoie, soyez vous mêmes interprètes de votre entreprise (Cinquième Livre, Chap. 45, p.406-407).

La réponse de la Dive Bouteille se clôt sur une injonction banale « Buvez » qui invite le lecteur à étancher sa soif. Cette recherche symbolique de la sagesse par la boisson incite l’être humain à descendre au plus profond de lui-même pour y trouver la vérité ; il suffit comme l’enseigne le précepte socratique, de « se connaître soi-même ».

(F. A.-D.)


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